Droit de préférence du locataire commercial : l’acquéreur évincé ne peut pas agir en nullité
Lorsqu’un locataire commercial exerce le droit de préemption en application de l’article L 145-46-1 du Code de commerce alors qu’il n’en avait pas le droit, seul le propriétaire des locaux peut agir en nullité de la vente ainsi conclue.
Lorsque le propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, son locataire bénéficie d’un droit de préférence pour se porter acquéreur (C. com. art. L 145-46-1).
Le propriétaire d’un local à usage de bureaux donné en location fait une offre de vente à son locataire, puis il conclut avec un tiers une promesse de vente portant sur ce même local. La promesse est consentie sous réserve de l’absence d’exercice de son droit de préférence par le locataire. Le locataire accepte l’offre de vente. Le tiers demande alors l’annulation de la vente et sa réalisation à son profit au motif que l’article L 145-46-1 du Code de commerce est inapplicable aux locaux à usage de bureaux. Sa demande est rejetée par la cour d’appel de Paris pour les raisons suivantes.
Le fait que le contrat signé entre le propriétaire et le locataire s’intitulait « bail de locaux commerciaux », alors qu’il portait expressément sur un local à usage de bureaux destiné à l’exercice d’une activité libérale d’expertise comptable et de commissariat aux comptes, ne suffisait pas à établir la volonté des parties de soumettre le contrat au statut des baux commerciaux.
Le propriétaire avait notifié la cession des locaux en application de l’article L 145-46-1 du Code de commerce alors que le locataire ne pouvait pas bénéficier du droit de préemption prévu par ce texte. Seul le propriétaire pouvait donc contester l’existence de ce droit en soutenant que cette notification n’en valait pas reconnaissance et agir en nullité de la vente.
Par suite, le tiers n’avait pas qualité pour agir en justice aux fins de demander l’annulation de l’acte conclu entre le propriétaire et le locataire.
À noter
L’article L 145-46-1 du Code de commerce vise les locaux à usage commercial ou artisanal ; la question s’est donc posée de son application aux locaux à usage de bureaux. Le droit de préférence constituant une atteinte au droit de propriété du vendeur, il est d’interprétation stricte de sorte que les locaux à usage de bureaux ne devraient pas être concernés. Il a toutefois été retenu que les locaux à usage de bureaux étaient soumis au droit de préférence de l’article L 145-6-1 si le locataire était susceptible d’y exercer une activité commerciale (CA Aix-en-Provence 20-11-2018 n° 17/04435 ; CA Paris 1-12-2021 n° 20/00194). Dans la décision commentée, les juges éludent la question en se plaçant sur le terrain de la qualification du bail : le bail conclu n’étant pas un bail commercial (et l’extension volontaire de l’application du statut n’étant pas prouvée), l’article L 145-46-1 n’était pas applicable.
Toujours est-il qu’en l’espèce le locataire avait exercé ce droit de préemption et que la question se posait donc de savoir quel était le recours de l’acquéreur évincé. Il ressort de la décision commentée que celui-ci ne peut pas agir en nullité de l’acte de vente auquel il n’est pas partie.
CA Paris 27-12-2022 n°21/07772
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