Erreur grossière d’un expert dans l’évaluation de parts sociales rachetées aux héritiers non agréés

Commet une erreur grossière l’expert qui, après le décès d’un associé de SARL et le non-agrément de ses héritiers, fixe le prix de rachat des parts du défunt en fonction de la baisse du chiffre d’affaires et des résultats de la société après le décès.

Les faits

Après le décès d’un associé de SARL en 2015, l’associé survivant refuse, comme l’y autorisent les statuts, d’agréer les héritiers du défunt et propose de racheter les parts sociales de ce dernier. En raison d’un désaccord sur le prix de ce rachat, un expert est désigné en 2018 par le président du tribunal de commerce en application de l’article 1843-4 du Code civil. L’expert fixe le prix à 59 000 €, soit la valeur médiane entre une évaluation à 117 000 € de l’actif net social et une valeur vénale nulle, qui tient compte de la baisse du chiffre d’affaires de la société entre 2012 et 2017 et des résultats proches de zéro estimés sur les dix ans à venir.

Les héritiers contestent ce prix en justice, considérant que l’expert a commis une erreur grossière car il ne s’est pas placé à la date du décès comme l’exige l’article L 223-13 du Code de commerce. Faisant droit à leur demande, un tribunal condamne l’associé survivant à verser aux héritiers le prix de 117 000 €.

Décision

La cour d’appel de Nîmes juge que l’expert a bien commis une erreur grossière en se fondant sur des données postérieures au décès de l’associé, tel le chiffre d’affaires des trois exercices suivant ce décès, et des projections de résultats sur les dix prochaines années à partir d’informations qui n’étaient ni connues ni même prévisibles au moment du décès.

La cour d’appel invalide en revanche la décision des premiers juges en ce qu’ils avaient condamné l’associé survivant à payer aux héritiers un prix de 117 000 € : il appartient en effet au seul expert de déterminer la valeur des parts sociales. Adopter partiellement les conclusions de son rapport reviendrait à se substituer à lui ; l’erreur grossière de l’expert conduisait donc à écarter totalement son rapport.

En outre, la cour rejette la demande des héritiers de procéder à la nomination d’un nouvel expert et invite les parties à nommer ce dernier d’un commun accord ou, à défaut, à s’adresser au président du tribunal.

À noter

1° Au décès d’un associé de SARL, ses parts sont librement transmissibles par voie de succession (C. com. art. L 223-13, al. 1). Les statuts peuvent toutefois, comme c’était le cas dans la présente affaire, prévoir que les héritiers ne deviennent associés qu’après avoir été agréés (al. 2). En cas de refus d’agrément, les associés sont tenus d’acquérir (ou de faire acquérir) les parts à leur valeur au jour du décès, telle que fixée, à défaut d’accord entre les parties, par un expert désigné par elles ou par le président du tribunal de commerce (C. com. art. L 223-13, al. 2 et 5 et, sur renvoi, art. L 223-14 ; C. civ. art. 1843-4).

L’estimation de l’expert s’impose aux parties et au juge (Cass. com. 12-6-2007 no 05-20.290), sauf en cas d’erreur grossière (notamment, Cass. com. 9-4-1991 no 89-21.611 ; Cass. com. 3-5-2012 no 11-12.717). L’arrêt commenté fournit une rare illustration d’erreur grossière dans le contexte d’un refus d’agrément après le décès d’un associé.

La solution s’applique, à notre avis, en cas de décès d’un associé de société en nom collectif (SNC) ou de société civile, la loi prévoyant également pour ces sociétés que la valeur des droits sociaux revenant à l’héritier est déterminée au jour du décès (C. com. art. L 221-15 et C. civ. art. 1870-1).

2° L’expert désigné en application de l’article 1843-4 du Code civil est seul compétent pour déterminer la valeur des droits sociaux ; les juges ne peuvent pas eux-mêmes les évaluer (Cass. 1e civ. 18-6-1996 no 94-16.159 ; Cass. 1e civ. 25-1-2005 no 01-10.395 à propos de sociétés civiles). L’arrêt commenté se situe dans la lignée de cette jurisprudence. Par ailleurs, la compétence du président du tribunal pour désigner l’expert est exclusive ; la cour d’appel ne peut donc pas y procéder (Cass. com. 30-11-2004 no 03-15.278 et 03-13.756), sauf lorsqu’elle infirme la décision du président du tribunal qui a refusé de le faire (Cass. com. 25-5-2022 no 20-14.352).

 

CA Nîmes 17-5-2023 n° 21/02058.

© Lefebvre Dalloz

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