Les déficits relatifs à des exercices prescrits peuvent être contrôlés avant même leur imputation
L’administration est fondée à contrôler les déficits constatés en période prescrite, non seulement lorsqu’ils ont été imputés au titre d’exercices non prescrits, mais également, comme vient de le juger le Conseil d’État, sans attendre leur imputation lorsqu’ils ont été reportés faute de résultat bénéficiaire.
On sait que, conformément à l’article L 169 du LPF, le droit de reprise de l’administration s’exerce pour l’impôt sur les sociétés et pour l’impôt sur le revenu jusqu’à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due. Toutefois, la période susceptible d’être vérifiée par l’administration ne coïncide pas nécessairement avec la période non prescrite. En effet, d’une manière générale, la jurisprudence reconnaît à l’administration le droit de contrôler et de remettre en cause, le cas échéant, des déficits nés au cours d’exercices prescrits dès lors qu’ils ont été imputés par l’entreprise sur les résultats d’un exercice non prescrit (notamment CE 13-11-1987 no 56447). Le droit au report en avant des déficits subis par les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés étant illimité, le droit reconnu à l’administration de contrôler la réalité des déficits peut remonter sans limitation dans le temps.
Le Conseil d’État complète sa jurisprudence en jugeant que l’administration est fondée à exercer son pouvoir de contrôle et de rectification d’un déficit issu d’exercices antérieurs prescrits, dont l’entreprise déclare disposer à la clôture d’un exercice, alors même que ce déficit n’a pas été imputé sur les bénéfices de cet exercice, et est donc seulement susceptible d’affecter le résultat d’exercices ultérieurs par la voie du report déficitaire.
Dans la présente affaire, les faits étaient les suivants. Une société a fait l’objet d’une vérification de comptabilité sur ses exercices clos de 2009 à 2011. Le résultat de ces derniers a été rectifié par l’administration en raison de l’identification d’un transfert indirect de bénéfices à l’étranger (CGI art. 57).
Sur ce même motif, l’administration a rectifié le stock de déficits dont disposait la société à l’ouverture du premier exercice non prescrit (2009) en faisant porter son contrôle sur le résultat déclaré au titre d’années antérieures (2003 à 2008).
Or la société, structurellement déficitaire sur toute cette période, soutenait que l’administration n’était pas fondée à vérifier l’existence et le montant des déficits déclarés au titre de ces exercices prescrits, alors que ces déficits, certes reportables sur des exercices postérieurs, n’avaient pas été imputés sur les résultats des trois exercices non prescrits sur lesquels la vérification de comptabilité avait porté.
Le Conseil d’État valide le raisonnement des juges du fond
Les juges du fond ont estimé que l’administration était fondée à contrôler les déficits d’exercices prescrits non imputés sur des exercices contrôlés non prescrits (TA Paris 20-3-2019 no 1620873 et 1705086 ; CAA Paris 13-4-2022 no 19PA01644).
La cour administrative d’appel a notamment estimé que « le report de déficits résultant d’exercices antérieurs prescrits sur des exercices déficitaires non prescrits […] ne relève pas d’une simple déclaration qui reste sans incidence, mais constitue l’un des éléments à prendre en compte pour déterminer le résultat fiscal des exercices non prescrits, même lorsqu’ils constatent un déficit fiscal », dès lors que « ces déficits issus des exercices antérieurs ont pour effet d’augmenter le déficit des exercices non prescrits et influent nécessairement sur les résultats servant de base à l’imposition, même si celle-ci est nulle, compte tenu de la situation fiscalement déficitaire ».
Le Conseil d’État confirme cette position autorisant l’administration à contrôler des déficits d’exercices prescrits, y compris dans le cas où aucune conséquence immédiate ni concrète n’en a été tirée sur des exercices non prescrits.
Le rapporteur public Romain Victor exprime, dans ses conclusions, sa réticence à ce que l’on puisse brider les pouvoirs de contrôle de l’administration, et que celle-ci s’abstienne de faire porter son examen sur un stock de déficits reportables, pourtant susceptible d’avoir un effet sur des cotisations d’impôt sur les sociétés établies au titre d’exercices ultérieurs, alors que les dispositions de l’article 209, I du CGI garantissent au contribuable le report illimité de ces déficits sur ses éventuels bénéfices futurs.
Le contribuable conserve la possibilité d’un recours
Au demeurant, le Conseil d’État précise que, dans l’hypothèse où l’administration procède à une telle rectification du montant du déficit reportable, l’entreprise a la faculté de la contester en application de l’article L 190 du LPF, dont le second alinéa dispose que « les réclamations qui tendent à obtenir la réparation d’erreurs commises par l’administration dans la détermination d’un résultat déficitaire » relèvent de la juridiction contentieuse, « même lorsque ces erreurs n’entraînent pas la mise en recouvrement d’une imposition supplémentaire ».
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