Pas d’abus de majorité en cas de décision prise à l’unanimité

La Cour de cassation juge pour la première fois qu’une décision prise à l’unanimité des associés ne peut pas être constitutive d’un abus de majorité.

Le dirigeant et associé majoritaire d’une société par actions simplifiée (SAS) ainsi que sa compagne, associée minoritaire, concluent une promesse de cession de la totalité des actions de la société au profit d’un tiers. Peu de temps avant la réitération de la promesse, l’assemblée générale de la SAS décide, à l’unanimité, d’octroyer une prime exceptionnelle de 83 000 € au dirigeant.

Après la cession, ce dernier agit contre la SAS en paiement de cette prime que l’acquéreur, qui en est devenu le nouveau dirigeant, refuse de lui verser. La SAS et l’acquéreur demandent alors l’annulation pour abus de majorité de l’assemblée générale ayant attribué la prime. Ils soutiennent que l’existence d’une décision prise au détriment des associés minoritaires doit être appréciée objectivement et peut exister nonobstant le vote des minoritaires en faveur de la délibération sociale litigieuse.

La Cour de cassation écarte l’argument et rejette la demande en annulation de l’assemblée, au motif qu’une décision prise à l’unanimité des associés d’une société ne peut pas être constitutive d’un abus de majorité.

À noter

Il y a abus de majorité lorsque la décision adoptée par le ou les associés majoritaires est contraire à l’intérêt social et a été prise dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des autres associés (Cass. com. 18-4-1961 no 59-11.394 ; Cass. com. 24-1-1995 no 93-13.273 ; Cass. com. 15-1-2020 no 18-11.580). Ces deux conditions sont cumulatives (Cass. 3e civ. 18-6-1997 no 95-17.122).

Au cas particulier, la cour d’appel avait jugé que l’adoption à l’unanimité de la décision critiquée à laquelle avait participé l’associé minoritaire empêchait de considérer qu’elle avait été prise au détriment de l’associé minoritaire. Il est permis de penser que ce raisonnement justifie la solution retenue par la Cour de cassation, même si celle-ci ne l’a pas explicitement repris dans sa décision. Il en résulte, à notre avis, que la solution ne s’applique que si la décision a été prise à l’unanimité de tous les associés et non pas uniquement de ceux qui étaient présents ou représentés à l’assemblée (en ce sens, Cass. 3e civ. 5-1-2022 no 20-17.428, rendu à propos de l’exigence d’unanimité imposée par les textes pour l’adoption de certaines décisions collectives).

L’action en nullité peut être intentée au nom de la société par son dirigeant (Cass. com. 21-1-1997 no 94-18.883) mais aussi par une personne qui n’avait pas encore la qualité d’associé à l’époque où la décision litigieuse a été prise (Cass. com. 4-7-1995 no 93-17.969). Il a été jugé que la nullité d’une décision peut être demandée par des associés qui ont voté en faveur de l’adoption de la résolution litigieuse (Cass. 3e civ. 19-7-2000 no 98-17.258, rendu à propos d’une décision adoptée à l’unanimité ; CA Lyon 14-5-2009 no 08-4126, ayant statué à propos d’un abus de majorité). À notre avis, cette dernière solution relative à la recevabilité de l’action en nullité pour abus de majorité n’est pas directement remise en cause par la présente décision, qui concerne le bien-fondé de cette action. Le bien-fondé d’une action ne se confond pas avec sa recevabilité, laquelle suppose, en l’absence d’action réservée à certaines personnes par la loi, de caractériser un intérêt légitime à agir en application de l’article 31 du Code de procédure civile. Même si un associé est recevable à contester sur le fondement de l’abus de majorité une décision prise à l’unanimité, on peut toutefois s’interroger sur la portée pratique de cette jurisprudence, dès lors que la décision commentée réduit les chances de succès d’une telle action.

 

Cass. com. 8-11-2023 no 22-13.851.

© Lefebvre Dalloz

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