Société concurrente créée par d’anciens salariés : quand le démarchage et la détention de fichiers constituent de la concurrence déloyale
Constituent des actes de concurrence déloyale le fait pour une société créée par un salarié de l’entreprise de démarcher des clients de cette dernière avant la fin de son contrat de travail et le fait de détenir des informations confidentielles relative à l’activité de cette entreprise.
Le démarchage de la clientèle avant la fin du contrat de travail peut constituer un acte d’exploitation
Une société exerçant une activité d’administrateur d’immeuble agit sur le fondement de la concurrence déloyale contre une société concurrente crée par deux de ses anciens salariés, à laquelle elle reproche d’avoir illicitement démarché sa clientèle.
Une cour d’appel rejette sa demande, estimant que la nouvelle société n’avait pas effectivement commencé son activité avant la fin des contrats de travail liant ses fondateurs à la première société : ce n’est qu’après la fin de ces contrats que les copropriétés alors clientes de la première société avaient désigné sa concurrente en assemblée générale et aucun paiement n’était intervenu avant.
La chambre commerciale de la Cour de cassation censure ce raisonnement. En effet, la nouvelle société avait transmis une offre commerciale à l’un des membres d’une de ces copropriétés avant la fin du contrat de travail de ses fondateurs et les juges du fond auraient dû vérifier s’il ne s’agissait pas d’un acte d’exploitation commis avant la fin du contrat.
À noter
La Cour de cassation confirme une solution déjà posée à plusieurs reprises : si rien n’interdit au salarié de préparer une future activité concurrente de celle de son employeur, c’est à la condition que cette concurrence ne devienne effective qu’après la rupture du contrat de travail (Cass. soc. 5-12-1973 no 72-40.381 P ; Cass. com. 13-3-2001 no 99-11.178 D ; Cass. soc. 23-9-2020 no 19-15.313 FS-PB). En l’espèce, le démarchage de la clientèle de la première société, eût-il été préparatoire à l’activité commerciale de la société nouvelle, ne pouvait pas être considéré comme un acte préparatoire à la constitution de la future société. Les juges du fond auraient donc dû vérifier s’il s’agissait d’un acte d’exploitation.
La détention d’un fichier détourné par un salarié d’un concurrent suffit à caractériser la concurrence déloyale
Les juges du fond avaient également écarté la demande fondée sur le transfert à la nouvelle société par les anciens salariés des listes de résidences clientes que la première société gérait, ainsi que des adresses électroniques de leurs conseils syndicaux, obtenues alors qu’ils étaient encore salariés de la société quittée. Pour les juges du fond, ces transferts de listes n’étaient pas condamnables, en l’absence de preuve de l’exploitation de ces informations par un moyen fautif de leur part.
Sous cet angle encore, la Haute Juridiction censure la décision : la seule détention par la nouvelle société d’informations confidentielles relatives à l’activité de la première société, obtenues par d’anciens salariés de cette dernière en cours d’exécution de leurs contrats de travail et qui avaient contribué à sa création, constituait un acte de concurrence déloyale.
À noter
La réparation des agissements frauduleux commis par les anciens salariés d’une société en ayant fondé une autre peut être mise à la charge de cette dernière, qui en a bénéficié (Cass. com. 5-2-1991 no 88-18.400 P ; Cass. com. 3-12-1991 no 89-21.666 D ; Cass. com. 1-6-2022 no 21-11.921 F-D). Tel est le cas en l’espèce. La Cour de cassation précise ici que, si la faute invoquée consiste dans le détournement des fichiers clients par les anciens salariés, la seule détention par la société nouvelle des fichiers litigieux suffit à caractériser la concurrence déloyale, sans qu’il soit nécessaire de faire la preuve de l’exploitation de ces informations par un moyen fautif de la part des anciens salariés.
Cass. com. 7-12-2022 n° 21-19.860 F-B
© Lefebvre Dalloz