Un dirigeant ayant perçu des rémunérations sans décision des associés non tenu de combler le passif

Le gérant de SNC ayant perçu une rémunération non validée formellement par les associés n’a pas commis de faute de gestion dès lors qu’un droit à rémunération a été admis de fait par les associés et que cette rémunération ne s’est accompagnée d’aucune dissimulation.

Une société en nom collectif (SNC) exploitant un fonds de commerce de tabac, presse et jeux est placée en liquidation judiciaire. Le liquidateur agit en responsabilité contre le gérant pour insuffisance d’actif, lui reprochant d’avoir frauduleusement augmenté le passif en percevant, de 2009 à 2014, des rémunérations sans avoir respecté les statuts, qui imposaient l’approbation préalable de ces rémunérations à l’unanimité des associés.

La cour d’appel de Paris rejette cette demande. Si le montant de la rémunération due au gérant n’avait pas été formellement validé par les associés, ces derniers avaient, de fait, admis un droit à rémunération correspondant à un travail dont l’ampleur n’était pas discutée (selon le gérant, il travaillait 7 jours sur 7, de 6 heures à 22 heures) ; le versement de cette rémunération ne s’était accompagné d’aucune dissimulation puisqu’elle était précisément individualisée dans les comptes que le gérant avait voulu faire approuver lors des assemblées générales annuelles.

En effet, les rémunérations perçues par le gérant au titre des exercices 2010 à 2014 étaient en rapport avec ce qui avait été rétroactivement proposé par les associés en 2015, lors d’une assemblée réunie sous l’égide d’un administrateur provisoire désigné compte tenu du conflit existant entre les associés minoritaires et le gérant au sujet de sa rémunération. La rémunération proposée (40 000 € par an) avait été refusée par le gérant au motif que ce montant incluait les charges liées à ses cotisations au régime social des indépendants (RSI).

S’agissant de la rémunération perçue en 2009, le gérant avait pu croire que son montant (68 775 €), supérieur à ce qui avait été proposé en 2015, était justifié du fait du doublement du chiffre d’affaires de cet exercice par rapport à l’exercice précédent et il n’était donc pas établi que l’irrégularité commise constituait une faute au sens de l’article L 651-2 du Code de commerce. En outre, cette irrégularité ayant été commise durant l’exercice clos le 31 décembre 2009, soit plus de cinq ans avant l’ouverture de la procédure collective (6 août 2015) et la date de cessation des paiements (1er juillet 2015), le liquidateur manquait à établir le lien de causalité avec l’insuffisance d’actif constatée.

À noter

Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, les dirigeants peuvent, en application de l’article L 651-2 du Code de commerce, être condamnés à supporter tout ou partie de cette insuffisance s’ils ont commis une faute de gestion ayant contribué à celle-ci. Toute faute de gestion, même légère, peut entraîner la mise en cause de la responsabilité des dirigeants sociaux. Toutefois, une simple négligence dans la gestion de la société ne peut pas être qualifiée de faute de gestion (C. com. art. L 651-2, al. 1).

Il a été admis que la rémunération que s’octroie un dirigeant social peut, si elle est manifestement excessive au regard de la situation financière de la société dirigée, constituer une faute de gestion pouvant être retenue à l’appui d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif (Cass. com. 4-1-2000 no 97-10.389 ; Cass. com. 31-5-2016 no 14-24.779). De même, il a été jugé, cette fois-ci en dehors de toute action en comblement de passif, que constituait une faute de gestion le fait pour un dirigeant de s’être octroyé une rémunération de son propre chef, sans décision des associés, alors que les statuts le prévoyaient (Cass. com. 13-3-1974 ; CA Rennes 28-6-2022 no 20/02742), le principe même des prélèvements étant fautif sans qu’il soit nécessaire que ces prélèvements soient excessifs (CA Rennes 28-6-2022 no 20/02742 précité).

En jugeant que le gérant n’avait pas commis de faute en l’espèce en se versant une rémunération sans obtenir la décision des associés prévue par les statuts, la cour d’appel de Paris s’inscrit à contre-courant de cette jurisprudence.

Mais il est vrai que le comblement de passif est une sanction facultative. Le juge dispose d’une large faculté d’appréciation et il peut écarter toute condamnation même si le dirigeant a commis une faute de gestion (Cass. com. 19-2-2002 no 99-15.359 ; CA Paris 16-10-2008 no 07/18718 ; CA Besançon 7-12-2011 no 11/01606).

 

CA Paris 22-2-2023 n° 20/14517

© Lefebvre Dalloz

 

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